• Les négociations entre Israël et les pays arabes : le paradoxe du maître-chanteur

    Par Robert Aumann*, prix Nobel d'économie en 2005

    Publication en anglais le 3 juillet 2010 

     

    Titre original : Game Theory and negotiations with Arab countries 

     

    Traduction française de Christine Slon 

     

    On installe Reuven et Shimon dans une petite pièce ou se trouve une valise contenant cent mille dollars en billets de banque. Le propriétaire de la valise leur propose le marché suivant : "Je suis prêt a vous offrir tout l'argent contenu dans cette valise, à la seule condition que vous négociez pour aboutir a un accord amiable sur la répartition de la somme entre vous. Vous ne pouvez pas obtenir l'argent par un autre moyen."

    Reuven, qui est un être rationnel, prend la juste mesure de la chance qui lui est offerte et se tourne vers Shimon pour lui proposer la solution évidente a ses yeux :
     "Bon, tu prends la moitié, je prends la moitié et chacun de nous repart avec cinquante mille dollars". A sa grande surprise, Shimon lui répond, le plus sérieusement du monde et d'un ton déterminé : "Écoute-moi bien, je ne sais pas ce que tu as l'intention de faire de cet argent, mais en ce qui me concerne je ne quitterai pas cette pièce avec moins de quatre-vingt dix mille dollars. C'est à prendre ou a laisser. Je préfère repartir les mains vides".

    Reuven n'en croit pas ses oreilles. "Mais qu'est ce qu'il lui prend ?" pense-t-il, "pourquoi aurait-il droit à 90 % et moi seulement 10 % ?". Il décide d'essayer de raisonner Shimon : "
    Allons, sois raisonnable" plaide-t-il, "Nous sommes dans la même galère et nous voulons tous les deux cet argent. Partageons équitablement et sortons d'ici".

    Mais le raisonnement de son ami ne semble pas atteindre Shimon. Il écoute attentivement ce que Reuven lui dit, mais il déclare ensuite, d'un ton encore plus décidé :
     "Il n'y a rien a discuter, c'est 90-10 ou rien du tout, et c'est mon dernier mot". Reuven en rougit de colère. Il a envie de mettre son poing sur la figure de Shimon, mais il se maitrise. Il vient de réaliser que si Shimon est vraiment déterminé à ne quitter la pièce qu'avec 90 % de l'argent, alors la seule solution qu'il lui reste s'il ne veut pas repartir les mains vides est d'accepter le chantage de Shimon. Il se lève, s'approche de la valise, compte dix mille dollars, les met dans sa poche, serre la main de Shimon et quitte la pièce l'air abattu. 

    Dans la théorie des Jeux en économie, cette étude de cas s'intitule "
    Le paradoxe du maitre-chanteur". Le paradoxe réside dans le fait que le rationnel Reuven est finalement forcé d’agir de façon clairement irrationnelle pour obtenir le gain maximal a sa disposition. La logique qui se cache derrière ce résultat surprenant se trouve dans l'attitude de totale confiance en soi et sa foi dans la justesse de ses exigences, aussi excessives soient-elles, dont fait preuve Shimon, ce qui l'amène à pouvoir convaincre Reuven que céder a son chantage est le seul moyen pour lui de retirer un bénéfice quelconque, aussi minime soit-il.

    Le conflit israélo-arabe.

    Les négociations politiques entre Israël et les pays arabes sont également régies par les principes de ce paradoxe. A chaque tentative de négociation, les pays arabes présentent des conditions préalables léonines et inflexibles. Ils projettent assurance et confiance inébranlable dans la justesse de leurs demandes et font clairement savoir à Israël qu'ils ne cèderont sur aucune de leurs conditions. Devant l'absence d'alternative, Israël est forcé de céder au chantage dans l'idée que sa propre inflexibilité conduirait a une rupture totale des négociations.
     

    L'exemple le plus probant en est la négociation avec les Syriens, qui dure depuis des années, sous des auspices divers. Les Syriens ont toujours affirmé par avance qu'ils ne cèderaient pas d'un pouce sur la question du Golan. La partie israélienne, qui recherche désespérément un accord de paix avec la Syrie, accepte la position de la Syrie, et aujourd'hui, au travers du discours public en Israël, il est clair que le point de départ de futures négociations avec la Syrie inclura un retrait complet du plateau du Golan, en dépit de son importance stratégique capitale pour assurer à Israël des frontières claires et une protection de son sol.

    Comment éviter l'échec

    Selon la théorie des Jeux, l'État d'Israël doit changer sa perception afin d'améliorer sa position dans ses négociations avec les pays arabes, et en fin de compte, remporter une victoire politique.

    A - Volonté de renoncer à des accords 

     

    L'approche politique actuelle pour Israël est basée sur le présupposé qu'un accord avec les pays arabes doit être trouve à n'importe quel prix, parce que la situation actuelle, en l'absence d'accord, est tout simplement intolérable. Dans le "paradoxe du maitre-chanteur', le comportement de Reuven est basé sur une perception de la situation selon laquelle il doit quitter la pièce avec une partie de l'argent, même si elle est minime. L'incapacité de Reuven à accepter l'idée qu'il puisse quitter la pièce les mains vides l'entraine inévitablement à céder à l'extorsion et à quitter la pièce comme un perdant, mais au moins avec un certain gain. De la même façon, l'État d'Israël conduit ses négociations dans un état d'esprit qui ne lui permet pas de rejeter des offres qui ne sont pas conformes a ses propres intérêts.

    B. Prendre en considération la répétition du jeu 

     

    Si l'on se base sur la théorie des Jeux, on doit envisager de façon totalement différente une situation qui se produit une seule fois et une autre qui se répète régulièrement, car, en matière de jeux, lorsque les situations se répètent, à la longue, un équilibre stratégique neutre entraine paradoxalement une coopération entre les adversaires. 

    Une telle coopération intervient lorsque les parties en présence comprennent que le jeu se répète encore et encore, et qu’ils doivent de ce fait prendre en compte les conséquences de leurs actions sur les jeux à venir, la peur d'une défaite éventuelle servant de facteur d'équilibre. Reuven a réagi à la situation comme s'il s'agissait d'une partie unique, et il a agi en conséquence. Aurait-il annoncé à Shimon qu'il n'était pas prêt a lui concéder sa part, même au risque d'une perte totale, il aurait modifié les résultats des prochains jeux, bien qu'il soit probable qu'il reparte les mains vides a l'issue de la première négociation. Cependant, si les deux se retrouvaient dans une situation similaire dans le futur, Shimon devrait prendre en compte la position de Reuven et devrait alors rechercher un compromis. Parallèlement, Israël doit faire preuve de patience et s'engager sur une vision a long terme, même au risque de n'arriver à aucun accord actuellement et donc de perpétuer un état de belligérance, afin d'affermir sa position lors de futures négociations.

    C. Avoir foi en sa propre position 

     

    L'autre élément qui crée le "paradoxe du maitre-chanteur" est l'absolue certitude qu'a l'une des parties de la justesse de ses positions, dans ce cas, la position de Shimon. L'absolue certitude entraine une autojustification de ses propres convictions et, dans un second temps, elle sert aussi à en convaincre son adversaire. Ceci a pour résultat la recherche d'un compromis de la part de l'adversaire même si cela l'amène à se comporter de façon irrationnelle et à se distancier de sa position de départ. Il y a quelques années, j'ai eu une conversation avec un officier de haut rang qui affirmait qu'Israël devait se retirer du Golan pour obtenir un accord de paix parce que, du point de vue syrien, la terre est sacrée et que donc la Syrie n'abandonnerait pas ses exigences. Je lui ai expliqué que les Syriens s'auto-convainquaient que la terre était sacrée et que c'était cela qui réussissait à nous convaincre à notre tour. C'est la conviction profonde affichée par les Syriens qui nous amène à céder à leur dictat. La problème politique actuel ne pourra être résolu que si, à notre tour, nous sommes convaincus de la justesse de notre position. Seule une foi totale dans la justesse de nos exigences pourra convaincre l'adversaire syrien de prendre en compte notre position.

    Comme toutes les théories scientifiques, la théorie des Jeux n'a pas la prétention d'être l'expression d'une opinion concernant des valeurs morales, mais cherche plutôt à analyser les comportements stratégiques des parties rivales dans le cadre d'un jeu. L'État d'Israël est engagé dans un match avec ses ennemis. Comme dans chaque jeu, dans le match arabo-israélien il existe des intérêts particuliers qui modèlent et modifient la structure du jeu et ses règles. Malheureusement, Israël ne tient pas compte des principes de bases qui régissent la théorie des Jeux. Si Israël suivait ces principes de base, sa position politique et sa sécurité en serait significativement améliorées.

    *Professeur au département mathématiques de l'université hébraïque de Jérusalem, Robert Aumann a reçu son prix Nobel d'Economie en 2005 "
     pour avoir amélioré notre compréhension des mécanismes de conflit et de coopération par l'analyse de la théorie des jeux."
     


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  • Ici: http://www.causeur.fr/ode-a-la-croisiere-rouge-verte,10422

    Ca vaut le détour !


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  • Lundi 20 juin 2011

    Non ! Israël n'est pas une force étrangère en Judée-Samarie et à Jérusalem-Est

    par Dore GOLD

     

    Palestine-July-24-1922.jpg

     

    44 ans se sont déjà écoulés depuis la guerre des Six Jours mais la question des droits légitimes de l'Etat juif et ses revendications à des frontières défendables sont toujours d’actualité.


    Nous avons toujours souligné le fait qu’avant juin 1967 la largeur du pays n’était que de 15 kms dans la région de Netanya. Certains peuvent en déduire  que des Etats ayant la « taille fine » aspirent à étendre leurs frontières, mais ce n'est pas le cas.


    Les droits juridiques d’Israël à obtenir pour des raisons sécuritaires des territoires au-delà de la ligne verte ainsi que ses droits sur Jérusalem émanent  de circonstances particulières de la guerre des Six Jours et ont été reconnus par d'éminents juristes internationaux.


    Pour exemple, en 1970 dans un article paru dans la revue prestigieuse du droit international  The American Journal of International Law, le juriste Stephen Schwebel, nommé plus tard, Procureur général au Département d’Etat, et ensuite  Président de la Cour internationale de Justice à la Haye explique : "lorsque des territoires sont occupés à la suite d'une guerre, les circonstances entourant la crise affecte après et directement aux droits internationaux des deux parties."


    Deux faits importants ont influé sa position : Premièrement; Israël a agi en légitime défense. C’est-à-dire, la prise des territoires n'est  pas un acte d’agression mais en réponse à une attaque armée. Rappelons sur ce point, les tentatives de l’URSS d’adopter des lois aussi bien à l’Assemblée générale de l’ONU qu’au Conseil de sécurité  définissaient Israël comme agresseur, mais ces tentatives ont échoué parce que la communauté internationale a reconnu qu'il s'agissait bien d'une guerre de légitime défense.


    Schwebel fait aussi référence à la revendication de la Jordanie à sa propriété juridique sur les territoires perdus lors de la guerre et il les qualifie d'extrêmement problématiques.


    Il rappelle que l’invasion jordanienne en Cisjordanie et à Jérusalem, en  en 1948, était illégale. Et par conséquent Schwebel conclut : « Israël a un  droit de propriété sur ces territoires, qui étaient dans le passé  sous le mandat britannique, autant plus que tout autre pays qui les a conquis par la force. Il a noté aussi qu’Israël a un argument juridique plus fort sur  "tout" Jérusalem.


    Ses observations reflètent effectivement la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui n’a pas exigé d’Israël un retrait complet aux lignes d'avant juin 1967.Il  explique que ces lignes n’ont jamais été une frontière internationale mais des lignes d’armistice  et qu’Israël a le droit de les remplacées par des frontières sûres et reconnues.


    Schwebel n’est pas une voix isolée parmi les juristes internationaux et les diplomates. Le professeur  Elihou Lotrfachte de l’université de Cambridge, et ancien conseiller juridique de l’Australie, a soutenu l’unification de Jérusalem en 1967 et l'a qualifié de légale et valide.


    Il explique que le dernier à avoir une souveraineté juridique sur Jérusalem était l’empire ottoman qui a régné dans la région durant quatre siècles consécutifs de  1517 à 1917. Juste après la Première Guerre mondiale, l’empire ottoman a renoncé officiellement à sa souveraineté sur Jérusalem et sur les autres territoires situés au sud de la Turquie moderne. De ce fait, une suspension ou un ajournement de la souveraineté fut créé conclut Lotrfachte.


    En d’autres termes, nous avons assisté  en 1948 à un « vide de souveraineté  » en particulier à Jérusalem.


    Ce vide a été donc comblé par Israël  car Tsahal  était dans l'obligation d'agir pour sauver la population juive de Jérusalem menacée d’extermination ou nettoyage ethnique. Le même principe s’applique également en juin 1967 lorsque les forces jordaniennes ont été les premières à tirer sur les quartiers juifs, et Tsahal a riposté en entrant à Jérusalem Est et dans la vieille ville comme acte de légitime défense.


    Le professeur Eugène Rostow,  doyen de l’école de Droit à l’Université Yale et ancien Secrétaire d’Etat adjoint au cours du mandat du président Lyndon Johnson a émis aussi une opinion dans ce sens. Son analyse se réfère également au mandat britannique et spécifiquement sur les « droits historiques du peuple juif » de reconstruire son foyer national. Rostow a fait valoir que les droits juridiques incorporés dans le mandat ont été conservés dans l’article 80 de la Charte des Nations Unies même après la dissolution de la Société des Nations.


    Dans ce contexte soulignons que le droit international est différent du droit interne et local  car il n'existe pas un gouvernement international qui promulgue des lois. Plusieurs facteurs déterminent ce qui est légal et illégal, tels que les accords internationaux et le comportement international.


    La Convention de la Cour de Justice internationale de la Haye ajoute une autre source au droit international : « les analyses des chercheurs chevronnés du monde entier. » Cela veut dire que des experts en droit international ont un poids non négligeable dans leur jugement concernant les raisons et les conséquences de la guerre de Six jours.


    Leurs positions concernant les droits légitimes d’Israël n’ont pas exclu la possibilité que l’Assemblée générale puisse prendre des décisions contraires aux droits juridiques. Mais lorsqu’on compare les résolutions non contraignantes devant les arguments des éminents juristes internationaux ces derniers le remportent largement.


    Leurs arguments sont évidement bien connus des diplomates israéliens et ont été mentionnés à maintes reprises dans les discours des ambassadeurs d’Israël à l’ONU dans les années 70 et 80.


    Toutefois, il est regrettable de constater  que ces arguments ne servent plus la  politique étrangère israélienne et la connaissance des droits juridiques d’Israël  qui sont nécessaires dans le cadre des négociations de paix demeure l’exclusivité d’une poignée d’experts juridiques.


    Les arguments prononcés à la tribune de l'ONU par Abba Eban et Haim Herzog il y a déjà quelques décennies sont toujours pertinents et valables. Il est important et impératif que les porte- parole israéliens aient le même degré de conviction personnelle dans la juste cause telle que l’ont exprimé leurs prédécesseurs.

     

    Les textes sur le droits international - ICI

     
    Par Gad Publié dans : israël et voisins hostiles 

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